Les Dominicains étaient-ils collabos ou résistants pendant la guerre ? Ont-ils condamné Jeanne d’Arc ou l’ont-ils défendue ? Où se situaient-ils pendant le siècle des Lumières puis pendant la Révolution française ? Etaient-ils monarchistes ou républicains au temps de l’Action française ? Et en Mai ’68 etc.
Régulièrement la question est posée à l’archiviste
« Choisis ton camp, camarade ! » est un principe révolutionnaire, écrire l’histoire est un tout autre combat.
Certes, on peut trouver des cas où les Dominicains, dans leur ensemble et individuellement (et encore on trouvera toujours une exception) ont pris fait et cause pour un événement ou un combat particulier. La querelle de l’Immaculée Conception au XVe siècle en est un bon exemple. Mais encore s’agit-il d’une querelle théologique.
Pour les événements politiques ou sociétaux, les Dominicains se caractérisent toujours par une grande diversité. Si l’on prend les événements récents, Mai ’68, la décolonisation ou la seconde guerre mondiale, la volonté des « grands » témoins et celle de leurs héritiers est évidemment de faire pencher la balance de la mémoire dans un sens. Le couvent Saint-Jacques met sur sa façade une plaque en l’honneur des frères qui ont été assassinés par les nazis. Pourtant la majorité des Dominicains français tout comme la majorité des français (y compris la chambre des députés du Front populaire !) est maréchaliste en 1940 sans être, pour autant, antisémite ; la Province honore la figure d’un Pierre Claverie, chantre de l’Algérie algérienne mais le couvent d’Alger tient majoritairement pour une Algérie française en 1958.
Et tout cela n’est ni choquant ni scandaleux car on trouve même dans la trajectoire des frères des évolutions, des nuances, des changements. Pierre Claverie faisait le coup de poing contre les indépendantistes à Grenoble en 1957… avant de changer d’opinion sous l’influence de son père. Le frère Guihaire, guillotiné par les nazis pour avoir défendu les juifs persécutés en 1942, refusait de côtoyer les rabbins prisonniers comme lui dans les camps allemands en 1917.
L’exemple de Jeanne d’Arc
Le cas de Jeanne d’Arc est le plus intéressant et le plus poignant. Les Dominicains, du fait de leur importance théologique et de leurs fonctions inquisitoriales, se trouvent évidemment pris dans le procès de Jeanne sans en être, cependant au centre ; le tribunal étant épiscopal et non Dominicain. Pourtant on les trouve des deux côtés du procès : accusateurs (Jean Le Maître) et défenseur (Martin Ladvenue, Jean Dupuy) et surtout « réhabilitateur » (Jean de Bréhal). Leur place et leur importance ne sont pas identiques mais le combat de la mémoire va agiter les historiens pour faire pencher la balance dans un sens ou dans un autre (Siméon Luce contre le frère Marie-Dominique Chapotin).
Vouloir mettre en bloc les Dominicains dans un camp précis est une volonté d’homogénéiser l’Ordre, c’est le désir de voir une communauté soudée et unie ; les Dominicains sont unis par une même profession mais leur vie, leur trajectoire, leurs opinions (Dieu merci !) sont diverses. C’est même cela l’enjeu de la vie commune : faire cohabiter, faire vivre ensemble jusqu’au partage des biens, des hommes qui par leur histoire, leur passé, viennent d’horizons différents.
Fère Jean-Michel Potin, OP
Archiviste de la Province dominicaine de France