Homélie du Maître de l’Ordre pour l’anniversaire de la mort de saint Dominique.
6 août 2021
Chers frères et sœurs,
En nous réunissant autour de la table de l’Eucharistie, table de communion et d’action de grâce, nous voulons remercier Dieu pour le don de saint Dominique de Caleruega, pour sa vie sainte et pour la mission unique que le Seigneur lui a confiée.
Comme l’a si bien dit le pape François dans la lettre adressée à l’Ordre en commémoration du 8e centenaire de la naissance de saint Dominique à la vie éternelle, parmi tous les titres attribués à saint Dominique, celui de Praedicator gratiae, « Prêcheur de la grâce », se distingue par sa consonance avec le charisme et la mission de l’Ordre qu’il a fondé (PG 1).
Notre don à l’Église, c’est la « grâce de la prédication » et la « prédication de la grâce », c’est-à-dire la proclamation de Dieu, la Grâce incréée, qui se donne à l’humanité. En cultivant et en partageant ce charisme et cette mission, Dominique est devenu Lumière de l’Église (Lumen Ecclesiae) et Docteur de vérité (Doctor Veritatis). Il fait partie de ceux que loue Isaïe : « Qu’ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix » (Is 52,7). En effet, il a consacré toute sa vie à la prédication de l’Évangile, en insistant « à temps et à contretemps… avec une patience inlassable et le souci d’instruire » (2 Tm 4,2).
Il y a de nombreuses années, j’assistais à un rassemblement de frères et sœurs de différentes congrégations religieuses qui se trouvaient en formation initiale. Je me suis fièrement présenté comme Dominicain. Un participant a répondu en plaisantant : « Dominicain ? Tu es donc un médiéval ! » J’ai rétorqué en souriant : « Nous ne sommes pas des médiévaux, nous sommes des classiques ! »
Un « classique » est à la fois opportun et intemporel. Saint Dominique a embrassé une mission qui est opportune, parce qu’il a saisi que le monde avait le besoin urgent d’une nouvelle évangélisation. Mais cette mission est simultanément intemporelle, parce que chaque génération requiert une nouvelle évangélisation, c’est-à-dire l’annonce d’un Dieu qui est toujours ancien mais aussi toujours nouveau. La mission des Prêcheurs est opportune parce qu’elle offre une réponse pertinente face à une situation spécifique, mais elle est aussi intemporelle parce que l’annonce de l’Évangile transcende le moment de son apparition et revêt une signification à chaque moment de l’histoire.
« Parlant avec Dieu ou de Dieu »I, saint Dominique incarnait l’alliance de la contemplation et de l’action, un exemple par excellence de ce que doit être un disciple-missionnaire appelé à suivre la Voie et envoyé pour prêcher l’Évangile. Saint Dominique a donc « quelque chose à dire » à toute époque et en tout lieu parce que l’Évangile qui a formé et transformé sa vie est classique. Médiéval et pourtant contemporain, ancien et pourtant toujours nouveau, voilà saint Dominique. Il est vraiment classique !
Exactement trois cents ans après la mort de saint Dominique, Ignace de Loyola a lu sa biographie et celle de saint François et il a reçu la grâce de sa conversion. Si Dominique a inspiré un tel homme qui a vécu plusieurs centaines d’années après lui, de telle sorte qu’il est devenu lui-même un saint, alors Dominique peut être une source d’inspiration pour nous tous, spécialement aujourd’hui. (Frère Massimo Fussarelli OFM, le nouveau Ministre général des OFM, concélébre avec nous dans cette célébration eucharistique. Ainsi, nous pouvons dire que « François » a visité « Dominique » aujourd’hui ici à Bologne.)
Qu’est-ce que saint Dominique peut dire à l’Église, au monde, alors que nous faisons face aux problèmes de l’indifférence, du cléricalisme, des divisions, des fausses nouvelles, du désespoir ?
Dans une période qui était marquée par l’indifférence, en particulier envers l’autre souffrant, Dominique prêcha lamisericordia veritatis, la miséricorde de la vérité. Comment ne pas se rappeler que lorsqu’il étudiait à Palencia, Dominique se tint à la frontière qui sépare la vie de la mort : ému de compassion pour ceux qui souffraient et mouraient pendant une grave famine, il décida de vendre ses précieux livres pour établir « un centre d’aumône où les pauvres pourraient être nourris »… Sa délicatesse exemplaire fut assez puissante pour inspirer d’autres personnes à faire de même.II
Ainsi, avec un cœur compatissant, Dominique a prêché la misericordia veritatisIII, cette miséricorde de la vérité qui a été parfaitement manifestée dans le Christ, misericordiæ Vultus, « visage de la miséricorde du Père ».IV La miséricorde est l’amour qui cherche à soulager la souffrance de l’autre. Comme nous l’a rappelé un jour le pape Benoît XVI : « le plus grand acte de charité est l’évangélisation… Il n’y a pas d’action plus bénéfique – et donc plus charitable – envers son prochain que de rompre le pain de la parole de Dieu, de partager avec lui la Bonne Nouvelle de l’Évangile, de l’initier à entrer en relation avec Dieu ».V
À une époque où le cléricalisme semblait obscurcir le sens évangélique de la diaconie comme imitation de Jésus venu « pour servir et non pas pour être servi », Dominique a enraciné la diaconie de la prédication dans la communion fraternelle. Le charisme de la prédication qu’il reçut poussa Dominique à rappeler à l’Église que sa mission était de prêcher l’Évangile à tout l’univers, mais aussi que cette prédication relevait d’une mission confiée non pas à quelques élus, mais à tous les membres de l’Église. C’est un charisme partagé par tous les membres de la famille dominicaine : frères (clercs et frères coopérateurs), moniales, sœurs apostoliques, membres des fraternités sacerdotales et laïcs dominicains – fidèles relevant de tous les états de vie dans l’Église.
Ainsi, Dominique, qui a prêché verbis et exemplo, a ouvert la voie afin que puissent témoigner de l’Évangile des disciples-missionnaires aux réalisations infiniment variées : écrits de Catherine de Sienne, peintures de Fra Angelico, service plein d’attention pour les autres de Rose de Lima, de Jean Macias, de Marguerite de Città di Castello, de Pier Giorgio Frassati, et de tant d’autres, dont les actions ont été considérées comme des formes importantes de prédication de l’Évangile. Comme l’a dit un frère coopérateur très sage : Nous ne sommes pas un Ordre d’homélistes, de faiseurs d’homélies, mais un ordre de prêcheurs !
À une époque où l’Église, le Corps du Christ, était blessée par les divisions et la discorde, Dominique élaborait une forme communautaire de gouvernement qui favorise la participation de tous au discernement et à la prise de décision. Les chapitres offrent, à différents niveaux, un espace de conversation aux frères pour affronter les défis auxquels ils sont confrontés, rechercher un consensus sur les questions qui divisent, discerner les meilleures façons possibles de servir la mission de l’Ordre à un moment et à un endroit donnés et, plus important encore, pour s’écouter et s’enseigner les uns les autres, en tant que frères. Le pape François a affirmé que « ce processus “synodal” a permis à l’Ordre d’adapter sa vie et sa mission à l’évolution des contextes historiques tout en maintenant la communion fraternelle » (PG, 6).
À une époque où l’erreur et les fausses nouvelles semaient la confusion dans les esprits et avaient égaré plus d’une personne, Dominique envoya ses frères dans les universités qui naissaient alors en Europe. Il connaissait l’importance d’une formation théologique solide et fondée, basée sur l’Écriture Sainte et attentive aux questions posées par l’époque. Une telle conviction conduisit la génération suivante de ses frères à la frontière où la foi rencontre la raison et où les deux se font compagnons sur le chemin de la vérité.
Nos frères Thomas d’Aquin et Albert le Grand se tinrent sur une telle frontière et, confiants dans l’harmonie de la foi et de la raison, ils amassèrent une récolte abondante pour enrichir l’héritage philosophique et théologique de l’Église. La mission intellectuelle de l’Ordre et sa mission de prêcher la Veritasfournit un antidote important face à une autre pandémie pernicieuse, celle des fausses nouvelles et des demi-vérités qui sont en fait des demi-mensonges.
En ces temps difficiles où les gens semblent être perdus dans le désespoir, Saint Dominique nous offre ce que nous nommons spem miram, une merveilleuse espérance ! Notre chant d’espérance commémore le moment, survenu précisément il y a huit cents ans, ici, à Bologne, où Dominique a quitté ce monde, alors que les frères avaient les larmes aux yeux : O spem miram quam dedisti mortis hora te flentibus. Dominique suscita alors l’espérance dans leurs cœurs en promettant aux siens de continuer à leur être utile, en s’engageant à intercéder pour nous et, par conséquent, de rester avec nous par ses prières.
Mais ce n’est là qu’un aspect de l’histoire. La présence des frères priants à l’heure de sa mort a dû aussi nourrir l’espérance de Dominique. Au moment d’éprouver la finitude de la condition humaine, Dominique n’était pas seul. La présence des frères et la promesse d’une présence de Dominique par-delà la mort apportèrent à tous espérance et consolation. En fin de compte, cette espérance était fondée sur la certitude que Dieu ne nous abandonnera jamais. L’espérance est l’assurance que Dieu demeure dans les « mystères joyeux, douloureux, glorieux et lumineux » de nos vies. L’espérance, « c’est le Christ parmi vous » (1 Col,27).
O Spem Miram ! Dominique a promis avec hardiesse de nous être utile parce qu’il avait une grande espérance d’être tout proche du Christ, dans la communion des saints.
Il y a cinq ans, le pape François a rendu visite à saint Dominique, ici, à Bologne. Dans sa lettre adressée à l’Ordre, il a dit : J’ai prié d’une manière spéciale pour l’Ordre des Prêcheurs, implorant pour ses membres la grâce de la persévérance dans la fidélité à leur charisme fondateur et à la splendide tradition dont ils sont les héritiers. En remerciant le Saint pour tout le bien que ses fils et ses filles accomplissent dans l’Église, j’ai demandé, comme cadeau particulier, une augmentation considérable des vocations sacerdotales et religieuses.
À mon tour, je souhaite également offrir ma prière pour la famille dominicaine ici à Bologne et partout dans le monde :
Ô Seigneur notre Dieu, Créateur du monde, Donateur de vie.
Il y a huit cents ans,
Il t’a plu d’accueillir saint Dominique dans l’éternité,
et d’établir la Sainte Prédication partout dans le monde.
O Spem miram! C’EST TOI, Ô SEIGNEUR, qui es la merveilleuse ESPÉRANCE,
promise par Dominique, notre Compagnon sans défaillance
dans la sainte entreprise qui consiste à répandre et à faire grandir TA PAROLE,
dans tous les pays, au-delà des mers, plus loin que les horizons de notre vision.
Alors que nous célébrons le Jubilé du dies natalis
de saint Dominique dans la vie éternelle
nourris-nous et comble-nous en nous accordant une double part de l’ESPRIT,
afin que nous puissions faire l’expérience d’une nouvelle Pentecôte
– une proclamation renouvelée de « la puissance de Dieu »
avec un l’engagement renouvelé dans notre mission
pour le « salut des âmes ».
Bénis nos frères et nos sœurs
et l’ensemble de la famille dominicaine,
en leur donnant la santé, le bonheur et la sainteté.
Conduis-les à toujours servir ton peuple.
Rassemble-les tous en Toi,
dans la louange et l’action de grâce.
Par l’intercession de Marie ;
au nom de Jésus. Amen.
frère Gèrard Francisco Timoner III, OP Maître de l’Ordre
I Constitution fondamentale de l’Ordre des Prêcheurs, II.
II Jourdain de Saxe, Libellus 10.
III Actes du Chapitre Général de Providence (2001), 107.
IV François, Bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde Misericordiæ Vultus (11 avril 2015), 1.
V Benoît XVI, Message pour le Carême 2013, 3.